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Le cannabis comme antidouleur : plus de mal que de bien ?

Publié le 16/01/18

La surmédiatisation du cannabis comme "anti douleur naturel", son autorisation aux Etats-Unis, au Canada et dans plusieurs pays d’Europe dans les douleurs de la sclérose en plaques ou du cancer? peu à peu l’idée que le cannabis aurait des vertus antalgiques a fait son chemin dans les esprits. En réalité, en 2017, les preuves scientifiques sont encore très minces.

 

Cannabis et douleur, de quoi parle-t-on ?

En 2017, les études scientifiques sur les effets antalgiques du cannabis (espèce Cannabis sativa) divisent, même au sein des médecins spécialistes de la douleur. Depuis une dizaine d’années, la grande majorité des études s’est focalisée sur les trois substances (cannabinoïdes) les plus abondantes du cannabis : le delta9-tétrahydrocannabinol (THC) pour son effet psychoactif, le cannabinol et le cannabidiol pour leur effet sur la douleur. Mais le cannabis comporte plus de soixante autres composés sont aussi actifs ! A ce jour, les expérimentations autres que chez l’homme sont rares. Chez l’animal, elles suggèrent un soulagement vis-à-vis des douleurs inflammatoires, viscérales et liées aux nerfs (neuropathiques). Qu’ils soient en faveur ou non de l’utilisation du cannabis naturel ou de synthèse dans la douleur, les spécialistes s’accordent sur le fait que l’impact sur le ressenti douloureux grâce au cannabis semble plutôt modeste. Le hic est que les études sont peu nombreuses, qu’elles portent sur de faibles effectifs et sur des durées très limitées.

Cannabis et douleur, que disent les études ?

La toute première synthèse des études déjà parues (2001) avait conclu à l’absence de supériorité des cannabinoïdes sur un antalgique de référence (ici la codéine) pour contrôler la douleur chronique, cancéreuse ou post-opératoire. En 2007, un essai sur des personnes volontaires non malades brouillait les cartes : alors que des doses moyennes atténuaient la douleur, de fortes doses au contraire l’exacerbaient ! Dans un autre essai, chez des personnes ayant le VIH et souffrant de douleurs liées aux nerfs, quatre « joints » par jours pouvait soulager, modestement. Quant aux douleurs de la fibromyalgie, une compilation des données scientifiques parue en 2016 s’est avérée négative. Cependant, une analyse récente publiée en 2015 a retrouvé des effets, très discrets (et parfois nuls) des cannabinoïdes, synthétiques ou naturels, sur la douleur. De tous, c’est le cannabis synthétique Nabiximols (THC et cannabidiol, en pulvérisations) qui s’en sort le mieux, notamment dans la douleur liée aux nerfs (neuropathique) et la douleur cancéreuse. Celle-ci est plus souvent améliorée (d’au moins 30%) sous THC ou nabiximols. Quant au cannabis fumé, les rares études sont le plus souvent de durée trop courte pour trancher. Certaines suggèrent pourtant qu’il pourrait aider certains malades dans les douleurs liée aux nerfs (douleurs neuropathiques centrales). Des preuves supplémentaires sont nécessaires. Pr Serge Perrot, rhumatologue au Centre d’évaluation et de traitement de la Douleur (Hôpital Cochin, Paris) : « Au vu des études, rien ne justifie aujourd’hui l’utilisation du cannabis dans la douleur chronique et celle liée aux nerfs (neuropathique) : les effets antalgiques sont trop modestes ».

A quand le cannabis sur ordonnance ?

Quoi qu’il en soit, cette analgésie modeste des cannabinoïdes synthétiques (comme le Nabiximols) leur a ouvert des indications dans de nombreux pays. Le Canada, 24 états des USA, Israël etc. ont déjà autorisé les cannabinoïdes dans les douleurs liées aux nerfs (neuropathiques centrales) et les douleurs rebelles du cancer. En Europe, le nombre de pays qui franchissent le pas progresse (Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Irlande, Roumanie). Même en France, le Nabiximols avait obtenu en 2014 le feu vert des autorités sanitaires dans la sclérose en plaques. Mais depuis, cette décision est restée lettre morte faute d’un accord sur le prix et d’une réelle volonté sanitaires. Pour le moment dans l’Hexagone, seul le dronabinol (THC de synthèse) dispose d’une « ATU nominative » (une autorisation temporaire d’utilisation qui concerne un seul malade nommément désigné), dans la sclérose en plaques. 70 patients ont pu en profiter en 2015. Par ailleurs, l’usage "compassionnel" (culture et usage personnels tolérés) du cannabis fumé dans le glaucome (maladie de l’?il), le cancer ou la sclérose en plaques est d’usage aux Etats-Unis. Pr Didier Bouhassira (Inserm U987, Centre d’évaluation et de traitement de la Douleur, hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt) : « Le soulagement procuré par les cannabis synthétiques et plus généralement le Nabiximols est modeste. Mais pourquoi pas ? En effet, le besoin est là, car l’efficacité très limitée de certains médicaments dans les douleurs cancéreuses laisse de nombreux patients et soignants démunis ».

Cannabis "antidouleur" : associé à de vrais dangers pour la santé 

Reste que le cannabis et ses dérivés ne sont pas dénués d’effets secondaires. Outre les hallucinations, vomissements, diarrhées, asthénie (affaiblissement de l’organisme) ou confusion, les plus problématiques sont ceux provoqués par l’usage du cannabis à long terme comme les troubles cognitifs, c’est-à-dire la détérioration des processus mentaux de la mémoire, du jugement, de la compréhension, et du raisonnement. Le cannabis est aussi un facteur favorisant de troubles psychiatriques (dépression, anxiété et psychoses). Par ailleurs, le risque de cancer est majoré : les substances carcinogènes sont jusqu’à trois fois plus toxiques que celles du tabac. Par exemple, l’augmentation du risque du cancer du poumon s’accroît de 8% par joint/jour sur une durée d’un an. Quant à l’effet addictogène, il est moins puissant que celui de l’alcool ou des opiacées (morphine). « Seuls » 10% des fumeurs réguliers deviennent addicts. Mais c’est sans compter les nouveaux cannabis synthétiques, qui peuvent être de 20 à 500 fois plus concentrés en THC !

 

Marion Garteiser, journaliste santé

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