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L’indispensable combat en faveur des salariés-aidants

Publié le 26/03/21

 

« Comment mieux s’engager auprès des salariés-aidants dans l’entreprise ? ». Tel était le thème du premier colloque de l’Observatoire solidaire de La Mutuelle Générale (lire encadré), qui s’est tenu à Paris, fin septembre, en présence de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie. Parmi les nombreux intervenants de ce colloque destiné à faire avancer la cause des salariés-aidants, Céline Martinez, psychologue au sein de la Compagnie des Aidants. Pour MG Actualités, elle revient sur les difficultés auxquelles doivent faire face les quatre à cinq millions de personnes qui, en France, travaillent tout en prenant soin d’un proche âgé, malade ou handicapé.

Le premier baromètre annuel de l’Observatoire solidaire révèle que 1 salarié sur 4 en France est un aidant ou l’a été. Nous sommes tous concernés ?

Céline Martinez : Oui, c’est un chiffre qui montre bien que l’aidance est un phénomène transverse qu’il faut regarder en face. En effet, dans le cycle naturel de la vie, nous allons tous être confrontés, un jour ou l’autre, à l’aidance, le plus souvent par le biais des aînés qui déclinent, qui entrent dans la vieillesse et qu’il va falloir accompagner plus ou moins fortement. Il faut bien comprendre qu’on se retrouve dans une position d’aidant par une logique de fait et non par choix véritable. On est propulsé dans une case sans préparation, sans soutien et sans accompagnement, et c’est ça qui est très difficile.

L’aidance, vous y êtes confrontée au quotidien, et pas seulement au titre de votre métier de psychologue, puisque vous êtes vous-même la maman d’un petit garçon handicapé. À quelles difficultés l’aidant doit-il faire face au quotidien ?

Mon fils est né en 2009 avec une maladie génétique très rare. Contrairement à ce qui se passe avec un aîné, quand vous avez un enfant porteur de handicap, vous devenez un aidant à vie. Or quand vous êtes aidant, vous êtes en permanence en situation de stress, d’épuisement, parce que vous portez plusieurs casquettes. Vous prodiguez des soins comme un infirmier, vous faites des allers-retours à l’hôpital pour les check-up ou la rééducation, vous êtes psychologue ou kiné pour stimuler l’aidé… Au niveau administratif, c’est très dense également. Vous faites le travail d’une secrétaire, vous recevez régulièrement des dossiers qu’il faut mettre à jour… C’est un véritable métier, même si on ne s’en rend pas toujours compte. J’ai d’ailleurs moi-même mis beaucoup de temps à comprendre que j’étais une aidante.

Comment cela ?

Souvent, les aidants ne réalisent pas le travail qu’ils font, ils n’ont jamais posé un mot là-dessus. Ils pensent être dans leur rôle de père, de mère, de fils ou de conjoint. Par amour, par dévotion, par éducation ou convictions religieuses, ils font don d’eux-mêmes et mettent tout en œuvre pour accompagner le plus fragile jusqu’à se retrouver enfermés dans ce rôle qui va les étouffer, les avaler. Le corps médical devrait être davantage sensibilisé à ce problème. Au moment d’annoncer une maladie grave, le médecin devrait aussi parler au parent ou au conjoint du malade et lui expliquer qu’il va devenir un aidant. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas tout de suite une prise en charge qui s’orchestre. Il faut bien réaliser qu’au bout d’un certain temps, l’aidant va se retrouver dans un épuisement tel qu’il risque de sombrer dans une détresse majeure qu’il taira le plus souvent.

Travailler en étant un proche aidant, c’est une difficulté supplémentaire. Mais est-ce que l’entreprise n’est pas aussi, d’une certaine manière, un lieu de répit ?

Effectivement, il y a des salariés aidants qui sont heureux d’aller au travail car, comme l’a rappelé un intervenant du colloque, ils déposent derrière eux toute leur vie intime qui est faite d’enfermement, de soins, de cris, de colère… Ils peuvent respirer, être eux-mêmes. Mais c’est aussi à leur détriment car, au bout de quelques années d’aidance, lorsque vous devez vous réveiller toutes les nuits pour rebrancher le respirateur de votre mari ou ramener dans son lit votre femme qui souffre de démence, vous finissez par ne plus être opérationnel. Aujourd’hui, avec la crise sanitaire, la mobilisation qui est demandée aux salariés-aidants est encore plus importante en raison du télétravail, des mesures barrières, d’une organisation qui est totalement chamboulée. Cela crée des situations extrêmes où l’aidant est tout le temps en situation de survie.

7 salariés-aidants sur 10, selon le baromètre 2020 de l’Observatoire solidaire, ne se déclarent pas comme tels. Comment expliquer cette invisibilité des aidants au sein des entreprises ?

D’abord, on ne peut pas se déclarer comme aidant si on ne réalise pas qu’on l’est. Et puis, pour beaucoup d’aidants, et plus particulièrement pour les hommes, cela reste compliqué de se confier. Dire que son épouse, par exemple, est dépendante ou que son fi ls est porteur de handicap, cela revient à dévoiler ses failles, cela touche à l’image qu’on présente de soi. C’est une forme de castration. Mon mari, qui était pilote de ligne, a toujours refusé de dire qu’il était parent d’un enfant porteur de handicap quand il était en activité. Il n’avait donc aucun aménagement d’horaires, aucune facilité, et se levait à 4 heures du matin pour un décollage à 7 heures alors qu’il n’avait dormi que quelques heures. Au bout d’un moment, ce n’est plus possible.

Des dispositions ont été prises en faveur des aidants ces dernières années, comme le don solidaire de RTT ou le congé proche aidant. Or 2 salariés sur 3 ne les connaissent pas. L’information, c’est un enjeu majeur ?

Oui, c’est un enjeu majeur, et c’est pour cela que les associations s’acharnent et luttent, en partenariat avec différentes structures comme l’Observatoire solidaire, pour être visibles auprès des pouvoirs publics, car ce sont eux qui ont les moyens de diffuser l’information. Il y a tout un travail de sensibilisation à faire auprès des entreprises, du grand public et des aidants eux-mêmes qui doivent oser parler de leur situation. Mais il ne faut pas se leurrer, pour que les mentalités changent, il faut dix ans en moyenne.
Et malheureusement, on ne pourra pas faire l’économie de ce rythme-là. En attendant, il faut faire de ces situations extrêmes des forces créatrices et vivantes, les rendre visibles, et c’est là toute l’âme des mutuelles qui remettent en marche le vivant, le lien social, et sont véritablement en première ligne.

Pour en savoir plus

Avec l’Observatoire solidaire, La Mutuelle Générale entend faire grandir la cause des salariés- aidants

Forte de son identité mutualiste, La Mutuelle Générale est depuis longtemps engagée auprès des aidants et des personnes dépendantes. Avec la création, au mois de juin 2020, de l’Observatoire solidaire des salariés-aidants, elle s’investit encore davantage dans la cause des actifs qui accompagnent au quotidien un conjoint malade, un parent âgé ou un enfant handicapé. L’Observatoire solidaire combine trois types d’initiatives : un colloque réunissant chaque année à la rentrée des acteurs économiques, politiques, médicaux et associatifs, un baromètre annuel pour mesurer l’état de l’opinion et renseigner sur la perception des salariés-aidants en France, et des ateliers tout au long de l’année pour proposer et imaginer des solutions concrètes et innovantes.

 

Pour en savoir plus

Découvrez les témoignages de salariés-aidants sur le site de l’Observatoire solidaire observatoire-solidaire.lamutuellegenerale.fr/les-temoignages/

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