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Dépistage organisé du cancer du sein : arrêter ou continuer ?

Publié le 06/02/18

Chaque année en France, 12 000 femmes meurent d’un cancer du sein. Un rapport de l’Institut national du cancer (Inca) vient de faire le point sur le dépistage organisé (DO). Il préconise une profonde modification de ce dépistage, voire de l’arrêter purement et simplement, et une meilleure information des femmes. La ministre de la Santé annoncera un plan d’action à la fin de l’année. En attendant, les femmes ne savent plus quoi faire...

Le dépistage organisé du cancer du sein remis en cause

Depuis que le dépistage organisé du cancer du sein a été généralisé en 2004 en France, à l’attention de chaque femme de 50 à 74 ans, sans facteur de risque particulier, qui est invitée à réaliser une mammographie tous les deux ans. Le principe repose sur une idée simple : plus on dépiste un cancer tôt plus on a de chance de le guérir et moins les traitements sont lourds pour la femme.

Pourtant, actuellement, ce dépistage fait débat. « Si certains scientifiques sont persuadés de l’intérêt indéniable du dépistage, d’autres pensent qu’il est plus délétère qu’efficace », peut-on lire dans le rapport de l’Inca qui pointe une « absence de consensus scientifique en ce qui concerne l’évaluation du rapport bénéfices (baisse de la mortalité et du nombre de cancers graves) / risques (sur-diagnostics et sur-traitements) associé au dépistage organisé du cancer du sein ».

Dépistage organisé du cancer du sein : et si certaines femmes étaient traitées inutilement ?

Le premier pavé dans la marre est une analyse publiée dans The Lancet en 2000 constatant l’inutilité du dépistage en terme de mortalité par cancer du sein. D’autres études suivront qui se contredisent. Certaines comme celles du Centre International Contre le Cancer (Circ) concluent à l’efficacité du dépistage en 2001 et 2015 ; d’autres comme celles de la collaboration Cochrane (institut de chercheurs indépendants), dont les dernières données publiées en 2013 dans le British Medical Journal portent sur sept essais et 600 000 femmes de 39 à 74 ans, notent que pour 2000 femmes invitées à participer à un dépistage au cours d’une période de 10 ans, un décès par cancer du sein sera évité tandis que 10 femmes en bonne santé seront traitées inutilement ! Les résultats stipulent, par ailleurs, que « la mortalité liée à un cancer du sein était comparable dans les deux groupes, même si les cancers détectés dans le groupe “mammographies” étaient en moyenne plus petits », rappelle le rapport de l’Inca

Le dépistage doit entraîner une baisse de mortalité

Selon les études, la baisse de mortalité dans le cancer du sein grâce au dépistage est évaluée entre 0,05% et 48%. « En tout cas, il semble que la mortalité observée soit moins diminuée qu’attendu dans les années 90, d’où le doute affiché de certains chercheurs et professionnels de santé », reconnaît l’Inca. Et quand la mortalité baisse, est-ce lié au dépistage, ou aux progrès des traitements et des soins ?

En 2011, une publication dans le British Medical Journal démontre que la mortalité liée au cancer du sein a chuté de 20 % environ dans tous ces pays entre 1989 et 2006, un taux retrouvé à la fois chez les femmes dépistées et non dépistées. Pour l’auteur, le Dr Philippe Autier, épidémiologiste et directeur de recherche à l’International Prevention Research Institute de Lyon, il n’y a pas vraiment de doute : « Le but du dépistage est de détecter des cancers à un stade précoce afin d’entrainer une réduction de l’incidence des cancers avancés et des décès.

C’est ce que l’on observe avec le cancer colorectal et le cancer du col de l’utérus dont la mortalité a diminué dans les pays où le dépistage a été mis en place. S’il n’y a pas de diminution, c’est que le dépistage n’est pas efficace ».

L’exemple du neuroblastome, une tumeur rare mais mortelle qui touche les enfants, est significatif : un dépistage des métabolites dans les urines a été mis en place dans trois pays. « On y a beaucoup cru, signale le spécialiste mais, avec le recul, les études ont montré qu’il n’y avait pas de différence de mortalité entre les enfants dépistés et non dépistés. On a donc arrêté le programme de dépistage ».

Dépistage organisé : des risques de sur-diagnostics et de sur-traitements

Les risques de sur-diagnostics de cancer du sein sont de plus en plus souvent évoqués. On parle de sur-diagnostic quand un diagnostic de cancer du sein est posé alors que la tumeur n’aurait jamais ennuyée la femme de son vivant.

En effet, on sait aujourd’hui que l’évolution du cancer du sein n’est pas aussi linéaire que l’on pensait au départ : autrement dit, il y a des petites lésions qui n’évolueront jamais ou tellement lentement que les femmes décèderont d’une autre maladie. Plusieurs études montrent, en effet, que les cancers in situ (petites lésions) ne sont pas devenus invasifs des années plus tard en l’absence de traitement. Le problème, souligne l’Inca, c’est que « nous ne disposons pas actuellement de moyens permettant de distinguer les tumeurs qui évolueront en tumeur infiltrante de celles qui resteront inoffensives ». A défaut, on traite toutes les femmes. Selon le Dr Autier, « quand le dépistage organisé n’existait pas, on avait moins de 1% de cancers in situ, aujourd’hui, on en trouve 10 à 20%, une véritable épidémie ! ».

Selon les études, des taux de sur-diagnostics allant jusqu’à 54% sont avancés. Là encore, il n’y a pas de consensus chiffré : l’étude Paci estime que pour un dépistage débutant à 50 ans, deux décès seront évités pour un cas de sur-diagnostic… L’étude Marmot suggère que pour un décès évité, il y aura trois sur-diagnostics.

Or, qui dit sur-diagnostic dit sur-traitement, c’est-à-dire tumectomies (ablations de la tumeur) et mastectomies (ablation du sein) non justifiées, sans compter l’angoisse dans laquelle sont plongées les femmes. Une étude sur 16 millions de femmes, publiée dans le JAMA en 2015, suggère que lorsqu’une anomalie est détectée, « une surveillance active peut-être parfois préférable à un traitement immédiat ». C’est la pratique adoptée pour le cancer de la prostate pour lequel aucun dépistage organisé n’a été proposé aux hommes en raison des séquelles engendrées par les traitements.

Arrêt du dépistage organisé ou simple toilettage ?

Face à l’absence de consensus scientifique sur l’intérêt du dépistage organisé pour le cancer du sein, l’Inca envisage deux scénarios :

  • Soit l’arrêt du programme de dépistage organisé : dans ce cas, la pertinence d’une mammographie devra être discutée entre la femme et son médecin traitant ou son gynécologue qui devront tenir compte des facteurs de risques personnels de la patiente (antécédents familiaux, âge, etc.).
  • Soit le déploiement d’un nouveau dépistage organisé : dans ce cas, l’information donnée aux femmes devra faire état des incertitudes et controverses existantes sur le dépistage « de la manière la plus claire possible » afin qu’elles puissent décider en connaissance de cause de participer au dépistage ou pas.

Il y a un an, un collectif de médecins et scientifiques indépendants, estimant que le dépistage systématique doit être réévalué de toute urgence, a créé un site Cancer Rose afin d’aider les femmes à dire oui ou non à la mammographie. « Si les femmes sont convaincues que le dépistage peut leur être utile, il faut qu’elles le fassent mais en étant loyalement et complètement informées. Or, jusqu’à présent le discours est unilatéral, pour ne pas dire culpabilisant vis-à-vis des femmes », souligne le Dr Cécile Bour, radiologue à Metz.

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