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Portabilité prévoyance et liquidation judiciaire : un peu de rigueur juridique et du bon sens, est-ce trop demander ?

Les contentieux relatifs à la portabilité prévoyance en cas de liquidation judiciaire de l’employeur engendrent un dilemme qui, l’air de rien, renvoie aux questionnements les plus fondamentaux de notre Etat de droit. Sans modification de la loi, faut-il reprocher aux juges d’appliquer aux assureurs un texte qui ne les concerne pas, en poursuivant un objectif de protection des salariés placée dans une situation de vulnérabilité économique ?

Maître Frank Wismer Avocat associé, AVANTY Avocats
Publié le 02/04/24
Temps de lecture 3 min

On sait que la Cour de cassation, et désormais les Cours d’appels et les Tribunaux de commerce, imposent aux organismes assureurs de maintenir leur couverture tant que la clôture de la période de liquidation judiciaire n’a pas été prononcée. Les juges fondent cette position sur le fait que l’article L.911-8 du Code de la sécurité sociale qui organise la « portabilité » est une disposition d’ordre public de telle sorte que toute clause de leur contrat qui entrave son application serait nulle. Cela pourrait se concevoir à un détail près qui est pourtant essentiel : cet article impose à l’employeur d’organiser la portabilité et ne concerne nullement les organismes assureurs.

On comprend donc que le souci de protection aurait pris le pas sur la rigueur juridique. Certains s’en réjouiront peut-être en saluant cette inflexion sociale des juges. D’autres rétorqueront que si on veut éviter la critique, parfois bien facile, de l’existence d’un « gouvernement des juges », ces derniers doivent veiller à la rigueur de leur solution. Ils peuvent certes inventer un principe de droit pour « provoquer » la réaction du législateur, mais surement pas en niant le sens littéral et évident d’une loi existante.

A procéder de la sorte, on doit craindre soit un développement exponentiel des contentieux, soit des pratiques de protection qui confirmeront l’adage selon lequel « l’enfer est pavé de bonnes intentions », notamment s’il est demandé des bilans comptables aux entreprises souhaitant souscrire ou encore si la résiliation annuelle est actionnée de façon préventive à la moindre difficulté de paiement. Personne ne souhaite ce type d’issue.

Cette situation n’est donc satisfaisante pour personne. Une revue des récentes décisions de justice permet de bien illustrer ce trouble.

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Les positions jurisprudentielles

On sait que par un avis du 6 novembre 2017, la Cour de cassation a considéré que la portabilité est applicable aux anciens salariés licenciés d’un employeur placé en liquidation judiciaire qui remplissent les conditions fixées par ce texte, tout en précisant que le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié (Cass., avis, 6 novembre 2017, n°17013 à 17017). Le 5 novembre 2020, la Haute juridiction faisait application de l’article L.911-8 du CSS dans un contentieux intenté contre un organisme assureur en refusant l’argument tendant à considérer que l’absence de dispositif spécifique de financement de la portabilité en cas de liquidation judiciaire constituait un motif de non-application du contrat d’assurance. Plus récemment, la Cour de cassation, a confirmé une Cour d’appel qui avait constaté que l’institution de prévoyance avait résilié le contrat conformément aux dispositions applicables, de sorte que les garanties ouvertes avaient pris fin et n’étaient plus en vigueur dans l’entreprise. En conséquence, les cotisations versées par le liquidateur, postérieurement à cette résiliation, afin d’assurer le maintien de la couverture dont bénéficiaient les salariés de la société licenciés, n’étaient pas indues. (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n° 20-20.898).

Ces positions de la Cour de cassation ont soulevé deux interrogations

D’une part, est-il possible d’organiser contractuellement le financement de la portabilité des garanties en cas de liquidation judiciaire. Un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 22 novembre 2022 apporte une première réponse jugeant qu’en conditionnant la poursuite de la portabilité au paiement de cotisations supplémentaires, non prévu par les dispositions d’ordre public de l’article L 911-8 du code de la sécurité sociale, la société a ajouté à la loi une condition supplémentaire (CA Montpellier, 22 novembre 2022, n°20/05323).  Ce sujet fera sans aucun doute l’objet de nouveaux arrêts, aucune disposition ne prohibant de telles clauses.

D’autre part, malgré le prononcé d’une procédure de liquidation judiciaire est-il possible de résilier à l’échéance annuelle ?  Les positions des juges du fond divergent. En effet, alors que la Cour d’appel de Colmar admet une telle résiliation (9 juin 2023, n°23/01021), telle n’était pas le cas de la Cour d’appel de Paris (28 juin 2022, n°20/09011). Un arrêt du 3 avril 2023 de cette dernière Cour opère cependant un revirement jugeant qu’: « Aucun texte ne prive l’assureur du droit de résilier le contrat au cours de la période de portabilité. L’assureur ne peut pas plus être tenu à garantie au- delà de la date de résiliation. » (3 avril 2023, n°21/03429). Même si cet alignement de la Cour d’appel de Paris avec celle de Colmar est rassurant, il faut garder à l’esprit que ce dernier arrêt a été rendu par la chambre des contrats commerciaux et non par la chambre de l’assurance, comme cela avait été le cas pour l’arrêt de 2022.  Tôt ou tard il faudra que la Cour de cassation se prononce sur ce point spécifique puisqu’il existe encore des divergences comme l’a illustré la médiatisation du dossier Camaïeu, ayant fait l’objet du jugement du Tribunal de commerce de Lille du 2 février 2023.

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