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Arrêt de travail et congés payés : les juges sifflent la fin de la récréation

Interrogez n’importe quel DRH sur la série d’arrêts relatifs aux congés payés rendus par la Cour de cassation le 13 septembre dernier et vous constaterez les mêmes réactions : regards dépités, paume de la main frappant le front et soufflements d’exaspération. Les commentaires sont en effet légion pour évoquer ces décisions selon lesquelles tout arrêt de travail doit être assimilé à du temps de travail effectif pour le décompte des congés payés.

Maître Frank Wismer Avocat associé, AVANTY Avocats
Publié le 28/03/24
Temps de lecture 3 min

On peut autant que l’on veut houspiller cette solution, il n’en reste pas moins qu’elle était, pour les plus attentifs, prévisible, puisqu’un rapport de 2018 de cette même Cour de cassation contenait déjà un appel aux pouvoirs publics à conformer le droit français au droit européen et plus spécialement à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, d’application directe, en raison de son intégration au « Traité de Lisbonne » de 2009.

Les hauts magistrats ont « enjambé » le Code du travail pour imposer directement la norme européenne. Quoi qu’il en soit, en ayant regroupé quatre litiges le même jour et en conférant à l’arrêt sa plus forte publicité, on dispose de certitudes quant à la pérennité de la solution.

Les termes des arrêts

D’abord, la prise en compte des arrêts de travail pour le décompte des congés payés concerne tant ceux professionnels que personnels, quelle qu’en soit la durée.

Ensuite, elle s’applique également à l’arrêt de travail survenant pendant un congé générant un effet « boule de neige » (l’arrêt de travail génère des CP, les CP non pris sont reportés, la prise ultérieure de ces CP génère elle-même… des CP.).

Enfin, point central du débat, la jurisprudence, contrairement à la loi, est rétroactive. C’est d’ailleurs à ce sujet que la crainte des DRH est la plus importante, les Cours d’appels et Conseils des prud’hommes ayant sans délai appliqué la solution, à l’initiative des conseils de salariés. 

Cette jurisprudence est également l’occasion de tordre le cou à une légende urbaine pourtant particulièrement diffusée selon laquelle, au terme de la période de référence, le non-exercice des congés implique nécessairement leur perte. Cela pose la question de la durée d’un délai raisonnable de report, non régie par le droit français et sur lequel la Cour de cassation a refusé de se prononcer. Le juge européen a considéré qu’une durée de deux ans n’était pas un délai déraisonnable, certains évoquant un délai de 15 mois.

Mais la règle est que l’employeur doit permettre au salarié d’exercer de façon effective son droit, en temps utiles, en justifiant avoir accompli les diligences, entre autres d’information. À défaut, le salarié peut opposer ne pas avoir été placé dans la situation d’exercer ses droits à congés pour soutenir qu’il n’existe aucun point de départ de la prescription. Reste tout de même qu’il a été jugé que la prescription applicable au paiement de l’indemnisation des congés payés est celle de trois ans sur les salaires, ce qui permet de « limiter la casse » puisque la loi prévoit pour cette durée spécifique que l’on ne peut remonter au-delà de trois ans à partir du jour de la connaissance des droits précités ou à compter de la rupture du contrat de travail.

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Effets

Lentement mais surement, les salariés vont assimiler cette jurisprudence. Certains redoutent déjà un accroissement de l’arrêt de travail de complaisance. En tout état de cause, les entreprises doivent procéder à l’état des lieux de leur passif à ce sujet, notamment en mesurant dans quelle catégorie et pour quel montant elles doivent provisionner cette éventuelle nouvelle charge. Elles doivent également reprendre la rédaction des soldes de tout compte ou de possibles transactions.
Enfin, elles doivent repenser entièrement leur process de gestion de leurs arrêts de travail et leur mode de décompte des congés payés et surtout identifier comment elles peuvent justifier que leurs salariés ont effectivement pu les prendre.

Implication C&B

On appréciera dans quelque temps si ces jurisprudences ont eu un effet sur l’absentéisme en mesurant également s’il existera un effet technique notamment dans les contrats à franchise courte. Le moment est peut-être venu de repenser l’usage du compte épargne temps, loin des dispositifs créés il y a 20 ans parfois mal calibrés engendrant des contraintes de provisionnement non souhaitées, en organisant un système autrement mieux tenu permettant de justifier de l’exercice des congés payés par la monétarisation de la cinquième semaine de CP et des jours de congés conventionnels.

En tout état de cause, nombreux sont ceux qui attendent une intervention législative. La loi peut certes adapter certaines modalités d’application, notamment s’agissant du délai raisonnable de report des congés. En revanche, on ne peut pas soutenir comme le font certains que la loi française peut et doit être modifiée pour contrer ces jurisprudences, sauf à décider de sortir la France de l’Union européenne, ce qui parait une mesure correctrice quelque peu disproportionnée…

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